- voir la police entrer chez elles de jour et de nuit afin de perquisitionner leur lieu de travail ou leur domicile et prendre une copie du contenu de leur ordinateur ou de leur téléphone mobile. Pour cela, il suffit qu’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » ;
- être assignées à résidence si leur comportement constitue « une menace pour la sécurité et l’ordre public » et se voir interdire d’être en contact avec d’autres personnes présentant la même menace.
Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.
Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.
ce qui est en cause
Ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.
Le vague des motifs qui pourront être invoqués, qui dépassent de beaucoup la prévention et la répression d’actes de terrorisme, permet à tout gouvernement de s’en prendre au mouvement social dans son ensemble.
Les associations seront aussi responsables des actes de leurs membres puisqu’elles pourront être dissoutes en raison de leur comportement.
ce qui est en cause
Ce n’est pas l’indispensable lutte contre le terrorisme, c’est l’extension dangereuse des pouvoirs de l’Etat sans aucune garantie judiciaire.
Un recul des libertés au nom de la défense de la démocratie?
Entretiens croisés réalisés par Jérôme Skalski, Vendredi, 20 Novembre, 2015 L'Humanité
Après les attentats du 13 novembre, des militaires réquisitionnés sur les Champs-Élysées.
Photo : Bertrand Guay/AFP
Table ronde avec Pierre Tartakowsky, ancien président de la Ligue française pour la défense des droits de l’Homme et du citoyen, Florian Borg, président du Syndicat des avocats de France et Dominique Noguères, avocate à la cour et militante du Front de gauche.
Les faits
Les attentats de janvier 2015 avaient entraîné une série de décisions législatives qui avaient suscité l’inquiétude de la part des défenseurs des libertés publiques en France.
Le contexte
Les annonces du chef de l’État
et du premier ministre à la suite des attentats à Paris
et à Saint-Denis seront-elles l’occasion d’une surenchère
en vue d’un nouveau recul de l’État de droit selon
la logique de la « stratégie du choc » ? Certaines
appellent à la vigilance et à la mobilisation citoyenne.
Les annonces faites par le président de la République et le Premier ministre concernant la révision de la Constitution et l’extension de l’état d’urgence vous semblent-elles compatibles avec notre État de droit ?
Pierre Tartakowsky Le président de la République peut bien évidemment engager un processus de révision constitutionnelle ; il aurait d’ailleurs pu le faire sur d’autres sujets, entre autres sur le droit de vote des résidents non européens aux élections locales. Il n’y a donc rien d’inconstitutionnel dans cette démarche. La méthode, le moment, le contenu, en revanche, ne peuvent que violemment interroger. De fait, l’affaire s’apparente à un « coup », à la fois juridique et politique. Engager une telle démarche dans la précipitation, sous le coup d’une émotion qui, bien que légitime, risque d’évacuer le débat de fond, relève davantage de l’opportunité que du fond. Cela alimente d’une part des interrogations légitimes sur les arrière-pensées politiciennes de la décision. L’objet mis en avant, la sécurité, enclenche d’autre part une logique référendaire, exclusive de la confrontation argumentée, notamment sur les enjeux de libertés individuelles et collectives. Bref, cette révision, si elle est compatible avec la lettre de la loi, en trahit profondément l’esprit tant elle risque d’engager un processus d’hibernation démocratique.
Florian Borg L’état d’urgence, rappelons-le, a pour objet de rétablir l’ordre public lorsque celui-ci est immédiatement et gravement menacé. Il est légitime lorsque les citoyens sont si durement attaqués, à la veille d’un week-end où ils s’apprêtent à sortir, assister à des manifestations culturelles et sportives, et que l’on ne connaît pas l’ampleur de la menace terroriste en cours. Mais étendre l’état d’urgence, dans la durée comme dans les pouvoirs, déstabilise l’État de droit. Le projet de loi en discussion prévoit non seulement l’extension à trois mois de l’état d’urgence, mais aussi de transférer aux autorités de police les compétences du juge d’instruction et du juge des libertés. Or, le pouvoir judiciaire offre des garanties procédurales à toute personne suspectée, comme aux victimes – notamment le débat contradictoire –, qui n’existent pas dans l’état d’urgence. Le pouvoir judiciaire peut agir efficacement en matière de terrorisme, à condition qu’il en ait les moyens humains. L’option envisagée par l’exécutif, une dérive des pouvoirs vers l’exécutif policier au détriment du judiciaire, est inquiétante. En outre, réviser la Constitution sous le coup de la colère, de la peur ou de l’émotion nous pousse à faire de mauvaises réformes : inutiles en matière de sécurité, dangereuses quant à l’équilibre des pouvoirs. On attendait une révision accordant aux résidents étrangers le droit de vote, c’est de déchéance de nationalité dont il s’agit. Les symboles sont durs.
Dominique Noguères L’émotion est toujours mauvaise conseillère. Si les attentats de la semaine dernière nous ont tous bouleversés, les mesures annoncées immédiatement après par le président de la République sont inquiétantes. Modifier la Constitution qui est notre socle commun mérite des débats, de la réflexion et ne peut se faire dans la précipitation. Inclure dans ce texte fondamental l’état d’urgence revient à nier nos principes fondamentaux de l’État de droit car c’est graver dans le marbre un état d’urgence permanent. C’est la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Cela est inacceptable même après la tragédie que nous venons de vivre. Les mesures pour assurer la sécurité des Français existent, elles sont dans le Code pénal, ce qu’il faut, c’est donner les moyens de leur mise en œuvre. Une justice efficace, qui lutte contre le terrorisme sans mélange des genres, c’est savoir ce que l’on appelle le terrorisme et ne pas mélanger des actions syndicales ou militantes avec les vraies attaques terroristes, rendre donc de la crédibilité aux mots. Or l’état d’urgence, c’est la mise à l’écart du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire pouvoir enfermer, priver de liberté, arrêter toute personne sans jugement, quelque fois sur un simple soupçon. Dans une démocratie, la justice est un pilier fondamental et la contourner, c’est ouvrir la voie à l’arbitraire. Non, nous ne sommes pas en guerre, à l’évidence, il s’agit ici de manœuvres politiciennes. Je suis certaine que la lutte contre le terrorisme passe par une autre voie, celle de l’État de droit et de la démocratie citoyenne.
Que penser de la proposition d’instaurer une procédure de déchéance de la citoyenneté française pour les binationaux ? N’est-elle pas en contradiction avec le principe d’égalité républicaine des citoyens à la base de notre pacte républicain ?
Dominique Noguères Sous Nicolas Sarkozy, la polémique avait été lancée. Depuis, quelques cas ont été portés devant le Conseil constitutionnel. Ces mesures, si elles sont juridiquement contestables, n’en sont pas moins inefficaces en matière de sécurité. Ce sont plus des effets d’annonce que des mesures propres à assurer la sécurité des Français. Jusqu’à présent, ces mesures n’ont été appliquées qu’à des personnes déjà jugées pour des faits liés au terrorisme. Elles ne sont en aucun cas préventives et ne sauraient empêcher la commission de tel ou tel acte. Par contre déchoir de la nationalité des binationaux revient en fait plus à stigmatiser une partie de la population qu’à assurer la sécurité des Français, avec le risque de produire les effets inverses de ceux que l’on attend.
Florian Borg Cette mesure n’aura aucune efficacité concrète en matière de sécurité et donne raison à tous les partisans de la stigmatisation de l’autre. Face au terrorisme qui porte atteinte à nos libertés, nous n’avons pas besoin de fuite en avant sécuritaire, mais d’un pouvoir responsable, qui réaffirme les valeurs fondamentales de notre démocratie, les libertés et l’égalité. Nous avons également besoin de moyens pour lutter contre tout extrémisme au sein de la société, par des politiques sociales et éducatives, ambitieuses, protectrices et égalitaires.
Pierre Tartakowsky Cette proposition, puisée dans les tréfonds de la boîte à outils de la droite la plus xénophobe, relève hélas à la fois de la comédie, du drame et de la tragédie. Comédie, car chacun comprend bien que sa charge dissuasive est nulle par rapport à l’objet. Un individu décidé à tuer, quitte à en mourir, se moque évidemment de se voir déchu de sa nationalité. La déchéance, qui existe et s’applique aujourd’hui à un nombre limité de cas, n’a, qu’on sache, rien empêché. Elle a en revanche soulevé des problèmes « techniques » car on ne peut légalement renvoyer dans « son » pays un déchu qui y serait en danger. Le drame, c’est que la reprise de cette proposition rancie alimente tous les fantasmes sécuritaires sur une validité supposée des doubles peines. Or, c’est bien de cela dont il s’agit, avec, là encore, inefficacité et injustice à la clé. Il est enfin tragique de voir un gouvernement républicain valider une proposition porteuse d’une formidable xénophobie explicite. Distinguer entre les « nés français binationaux » et les autres revient à épouser la thèse d’extrême droite sur les « Français de papier », autrement dit, à créer une catégorie de « faux Français », tout en validant l’idée que les périls seraient uniquement exogènes. Cette dynamique divise là où il faut rassembler. Elle ne peut dériver que vers le pire.
Quelles réformes engager dans le sens d’une réponse républicaine et démocratique à la menace terroriste ?
Pierre Tartakowsky Il n’y a pas de panacée. Rappeler en permanence qu’en la matière il n’y a pas de risque zéro est indispensable si l’on veut mener un débat public dégagé des calculs opportunistes et politiciens, permettant de comprendre la réalité complexe et l’ampleur du phénomène. Sans cette compréhension, on se condamne à des postures et des promesses dont l’expérience montre qu’elles sont aussi spectaculaires que contre-productives. Combattre le terrorisme suppose une mobilisation de la société tout entière, sur l’ensemble des champs où se jouent sa cohésion, l’image qu’elle se fait d’elle-même, la maîtrise de son devenir collectif. Le militaire n’y suffit pas, surtout lorsque ses cibles sont mal définies ou changeantes et la militarisation du débat public répond aux objectifs stratégiques des terroristes en ce qu’elle les légitime. Il faut évidemment du travail de police, de justice et de renseignement. Remarquons à cet égard que la focalisation sur les écoutes de masse, au détriment du travail de terrain, vérifie que ce qu’on perd en liberté, on le perd aussi en sécurité. Enfin, et c’est là un travail de fond, il faut travailler à reconstruire une société solidaire et fraternelle, en s’attachant à la dimension concrète de la promesse républicaine d’égalité, singulièrement dans les domaines de l’éducation et du travail. Soyons clairs, aucun de ces aspects ne peut en lui-même suffire ; mais leur combinaison est indispensable.
Florian Borg Face à tant de victimes et de douleur, le niveau de sécurité a besoin d’être renforcé, ce n’est pas discutable. Mais nous pensons que tout renforcement de la sécurité doit s’accompagner d’un accroissement des garanties en matière de liberté. Il est essentiel que des institutions indépendantes (Cnil, CNCTR, CNCDH, défenseur des droits, contrôleur des lieux de privation de libertés, par exemple) puissent disposer des compétences, des moyens et de toutes informations nécessaires pour contrôler tant l’efficience des mesures de sécurité que le respect des libertés fondamentales. Enfin, nous devons opposer au terrorisme notre culture démocratique et la réaffirmer, sans quoi nous aurions perdu l’essentiel. Dans ces conditions, il n’est pas acceptable d’opposer l’unité nationale à ceux qui discutent des mesures proposées. Cette unité n’existe que parce que nous pouvons débattre démocratiquement. Il n’est pas possible non plus de limiter le débat citoyen comme cela est prévu pour la COP21 : un tel enjeu de société doit permettre aux chefs d’État comme aux citoyens de s’exprimer. Le droit d’exprimer son avis en toute sécurité doit être le même pour tous.
Dominique Noguères Depuis des décennies, l’État a déserté des territoires entiers en supprimant des services publics, en abandonnant des populations et en les livrant à elles-mêmes au mieux, à des groupes de pensée au pire, dont nous voyons aujourd’hui le résultat. Redonner toute sa force à un vrai travail d’éducation populaire, citoyen et civique, construire un discours contre l’embrigadement bien évidemment, mais donner aussi un espoir à des populations laissées-pour-compte et redonner de la dignité est indispensable. Il faut aussi donner des pouvoirs conséquents à la justice pour qu’elle puisse faire son travail, et permettre aux juges chargés d’instruire les affaires de terrorisme d’être à égalité de moyens avec les services de renseignements. Cela passe par une réflexion profonde sur le fonctionnement des services de renseignements et sur celui des juridictions antiterroristes. À l’heure d’une austérité prônée à chaque instant, il est urgent de donner des moyens pour une lutte efficace et forte contre le fascisme, tel qu’il est revenu aujourd’hui. Enfin, et ce n’est pas rien, il faut s’attaquer aux vraies racines du mal, modifier radicalement notre politique étrangère qui, depuis des années, joue avec le feu, choisir nos alliés non pas en fonction de contrats mirobolants, mais dans un souci de soutien solidaire aux mouvements démocratiques qui résistent et se battent dans le monde entier pour une humanité plus solidaire.
Stratégie du choc
« Un traumatisme collectif, un coup d’État,
une catastrophe naturelle, une attaque terroriste plongent tout un chacun dans un état de choc. C’est ainsi qu’après le choc, tel un prisonnier dans un interrogatoire, nous redevenons
des enfants désormais plus enclins à suivre
les leaders qui prétendent nous protéger »,
écrit Naomi Klein dans la Stratégie du choc.
La Montée d’un capitalisme du désastre (Actes Sud, 2008). Un livre à lire ou à relire d’urgence.
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