Fragile droit d’alerte
2 mars 2015
La multiplicité des affaires révélées par des lanceurs d’alerte,
en France et dans le reste du monde, démontre l’utilité de leur
démarche pour l’intérêt général et la démocratie. Certains ont permis au
Trésor public français de récupérer plusieurs milliards d’euros
(affaires UBS, SwissLeaks, LuxLeaks), d’autres de prévenir des risques
sanitaires majeurs (amiante, éthers de glycol, Mediator) ou encore de
dénoncer des pratiques de corruption (affaires des diamants de sang de
l’Angola, de la revente du Printemps). Ces salariés lanceurs d’alerte
ont simplement, dans le cadre de leur travail, refusé de cautionner des
pratiques contraires à leur éthique professionnelle. Cette intégrité
leur a coûté leur carrière, leur emploi et a bouleversé leur vie
personnelle. Beaucoup d’entre eux, des années après les faits qu’ils ont
signalés, sont toujours sans emploi ni revenus, et ont toutes les
peines du monde à assurer leur défense dans le cadre des multiples
procédures judiciaires intentées contre eux. Les lanceurs d’alerte
isolés sont bien sûr les plus fragilisés, mais le droit d’alerte et les
protections dont bénéficient les institutions représentatives du
personnel sont, elles aussi, très relatives. Certains lanceurs d’alerte
étaient aussi élus, ce qui n’a pas empêché leur licenciement. Les
lanceurs d’alerte, pourtant au service de l’intérêt général, sont
laissés seuls face à des groupes d’intérêts puissamment organisés. C’est
le pot de terre contre le pot de fer. Nous considérons qu’il est de la
responsabilité des pouvoirs publics de contribuer à inverser ce rapport
de forces en les protégeant et en les accompagnant.
En France, avec cinq lois incluant un article en leur faveur – dont trois datant de 2013 – la législation est fragmentaire et disparate. Sans définition globale du lanceur d’alerte, sans moyens dédiés, ni contrôles et sanctions, le dispositif français n’est pas opérationnel. Nous considérons que leur protection passe par trois piliers. D’abord, l’adoption d’une loi-cadre, valable pour les secteurs publics et privés, prévoyant une protection globale et des procédures de transmission des informations protégeant l’anonymat (convention de Mérida ratifiée par la France). Il convient de pénaliser l’entrave au signalement ou les représailles. Le deuxième pilier repose sur la création d’une agence indépendante des alertes en charge de recueillir et de traiter les alertes, et d’assurer une publication annuelle des données. Enfin, il faut créer un fonds de dotation pour les lanceurs d’alerte, de façon à leur assurer le droit à un procès équitable en les accompagnant dans les procédures judiciaires et à réparer l’ensemble des conséquences du signalement, tant en termes de revenus que de souffrance morale.
Nous
tenons à faire part de notre inquiétude concernant le traitement du
secret des affaires. Suite à la mobilisation citoyenne, il a été décidé
de retirer cette disposition du projet de loi Macron. Cependant, une
directive européenne est en préparation et sera débattue le 28 avril au
Parlement européen. Cette directive utilise une définition très large du
secret des affaires et pénalise toute infraction sans la limiter à une
utilisation des données à des fins commerciales illicites. Adoptée en
l’état, elle pourrait être utilisée pour poursuivre des lanceurs
d’alerte, des syndicalistes ou des journalistes. Et elle prévoit, en cas
de procédure devant les juridictions civiles ou pénales, une
restriction de l’accès au dossier ou aux audiences, avant, pendant ou
après l’action en justice.
S’inscrire
dans «l’esprit du 11 janvier», en promouvant le rassemblement autour
des valeurs fondamentales de la République, doit aussi conduire à lutter
plus fortement contre ce qui la mine : l’inégalité devant l’impôt et la
justice, la corruption et la primauté du droit des plus forts.
Signataires :
Stéphanie Gibaud secrétaire générale de PILA (Plateforme Internationale des Lanceurs d’Alerte)
Marie José Kotlicki et Sophie Binet, secrétaires générales de l’UGICT-CGT (Union Générale des Ingénieurs, Cadres et Techniciens CGT), Valérie Lefèvre Haussman, secrétaire générale de la fédération des Banques et Assurances CGT, Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat National des Journalistes- CGT, Patricia Tejas, secrétaire générale de la fédération des Finances CGT, Patrick Picard, secrétaire général de la CGT Paris
Julien Coll Directeur de Transparency International France
Bertrand Bocquet président de la Fondation Sciences Citoyennes
Françoise Martres, présidente du Syndicat de la Magistrature
Pierre Tartakowsky, président de la Ligue des droits de l’Homme
Bernard Pinaud, délégué général du CCFD-Terre Solidaire
Laetitia Liebert, directrice de Sherpa
Séverine Tessier, présidente d’Anticor
Vincent Brossel directeur de Peuples Solidaires Action Aid
Benjamin Sonntag, cofondateur de La Quadrature du Net
Edwy Plenel et Fabrice Arfi, Mediapart
Chantal Cutajar, Présidente de l' OCTFI (Observatoire citoyen pour la transparence financière internationale)
Fabrice Tarrit, Président de Survie
Jean Louis Marolleau, secrétaire exécutif du réseau foi et Justice Afrique Europe
Damien Millet, vice-président du Cadtm France (Comité de pour l’annulation de la dette du Tiers Monde)
Denis Vienot, secrétaire général de Justice et Paix
Vincent Drezet, secrétaire Général de Solidaires Finances Publiques
Bruno Lamour, président du Collectif Roosevelt
Thomas Coutreau, porte-parole d’Attac France
Jean Merckaert, rédacteur en chef de la revue Projet
Par un Collectif d’organisations