Quelle prison pour une
société démocratique et humaniste ?
Compte-rendu de la
conférence de Jean-Marie Delarue au Champs Libres (Rennes), mercredi
25 novembre 2015. Conférence organisée dans le cadre des 22e
journées Nationales Prison, intitulées « moins punir par la
prison pour mieux reconstruire ».
Contrôleur général des
lieux de privation de liberté de 2008 à 2014, Jean-Marie Delarue a
été le premier à occuper ce poste créé en 2007. La fonction du
CGLPL est de « s'assurer que les droits fondamentaux des
personnes privées de liberté sont respectés et de contrôler les
conditions de leur prise en charge ». Sans aucun pouvoir
d'injonction, celui-ci ne peut que former des recommandations mais
son champ d'action est très large, couvrant les quelques 5500 lieux
privatifs de liberté en France : établissements
pénitentiaires, locaux de garde à vue, dépôts de tribunaux,
centres éducatifs fermés, zones d'attente, centres de rétention
administrative, secteurs psychiatriques des centres hospitaliers et
locaux d'arrêt des armées.
Dehors, on ne connaît pas les
prisons
Selon Jean-Marie Delarue,
le problème principal des prisons est l'ignorance du citoyen
« libre » les concernant.
Pourtant, personne n'est
à l'abri d'y séjourner.
En effet, seuls 2,5% des
détenus sont des individus dangereux, alors que 75% d'entre eux ont
des peines de moins d'un an. La durée moyenne d'un séjour est
d'environ 11 mois.
Depuis 25 ans, le nombre
de détenus excède celui des places en prison. Si dans les
établissements pour longues peines, le taux d'occupation ne dépasse
jamais les 100%, il est toutefois de 212% et 223% dans deux maisons
d'arrêt visitées par les contrôleurs.
Pour palier cette
surpopulation, nous pourrions envisager la mise en œuvre d'autres
peines pour certaines infractions. Car, comme le dit M. Delarue :
« un délinquant routier n'apprendra pas en prison à mieux se
comporter sur la route ».
Réintroduction du terme
« dangerosité »
Depuis
2005, la notion de « dangerosité » a été réintroduite
dans dans notre loi pénale, faisant du crime quelque chose
d'intrinsèque à la personnalité. Ce terme, devenu un outil pour
prévoir les risques de récidive d'un condamné, est pour Jean-Marie
Delarue « un concept juridique lui-même dangereux. »
Les
individus considérés « dangereux » sont mis à l'écart
sans espoir d'évolution. Cette idée est à l'opposé des
conceptions pénales qui ont prévalu depuis cent ans.
Industrialisation de la captivité
Les nouvelles prisons,
construites depuis 1987, nous ont fait régresser. En multipliant les
conditions de sécurité, ces « machines collectives »
agrandissent la distance avec les détenus.
Les nouvelles prisons ont
un pouvoir d'accueil de 690 détenus, contre 150 auparavant, faisant
de ces derniers de complets anonymes. Une perte de la dimension
humaine renforcée par la fonction des surveillants qui ne restent
pas plus de 8 jours sur un même poste.
Pour Jean-Marie Delarue,
ces prisons tendent à une industrialisation de la captivité, à une
massification des prisonniers.
Usage social
La prison a trois fonctions :
1.Punir
2.Assurer la réinsertion des condamnés
3.Prévenir la récidive
Dans les faits, l'usage
principal est la punition.
Loin de rétablir et de
reconstruire les personnes, la prison les détruit un peu plus.
Cet exil sur place, est
une rupture avec soi-même, sa famille, son travail, son identité.
La surpopulation – les
détenus peuvent être trois dans 9m2 – engendre également une
perte de l'intimité encore plus forte qu'auparavant (la première
maladie en prison est la rétention de sels).
Livrés en permanence au
regard des autres, les détenus sont dépossédés d'eux-mêmes. Ils
n'ont aucune autonomie et sont infantilisés.
Peut-on se reconstruire
dans ces conditions ?
Les besoins de sécurité
Les
besoins de sécurité l'emportent en prison comme ailleurs.
Malgré la loi de 2009 sur les droits
fondamentaux de la personne détenue, c'est la relation personnelle
avec le surveillant qui prend le pas sur la loi. L'effectivité de la
loi est donc souvent abstraite.
Certaines améliorations peuvent toutefois être
observées : des points d'accès aux droits ont été mis en place
et les avocats peuvent venir en prison pour les commissions
disciplinaires.
Il faut continuer ces efforts d'ouverture de la
prison à l'extérieur, c'est la meilleure garantie d'une effectivité
du droit. Il faudrait également donner plus d'ambition aux
surveillants afin de faire évoluer la conception étriquée de la
sécurité et de les libérer de leur seule fonction de
« porte-clés ».
Car, pour Jean-Marie Delarue, « Les
mesures de sécurité excessives engendrent des violences (dans la
société libre aussi). »
La réinsertion
La
pénurie de conseillers d'insertion et de probation demeure
flagrante.
Il
faut accorder plus d'importance à l'aide et à l'accompagnement à
la réinsertion et favoriser les liens familiaux des détenus. En
effet, seules 40 unités de vies familiales ont été mises en place
sur près de 200 établissements pénitentiaires en France.
Jean-Marie
Delarue propose également d'introduire un internet contrôlé pour
que les détenus puissent envoyer des mails à leurs proches,
rechercher un logement et un emploi avant leur sortie.
Radicalisation religieuse
Les
derniers événements amènent la question de la radicalisation
religieuse en prison.
En
effet, la religion est un refuge pour certains prisonniers. Pour
répondre à ce besoin, l'état déroge à la loi de séparation de
l'Eglise et de l'Etat en allouant des subventions pour des aumôniers.
Cependant,
la difficulté d'accès des détenus aux cultes est un véritable
problème qui touche toutes les religions.
Première
religion pratiquée en prison, l'Islam est particulièrement mal
desservie. Elle manque cruellement d'aumôniers, d'une part parce que
l'administration n'y consacre pas un budget suffisant et d'autre part
parce que le conseil français du culte musulman ne sait pas
s'organiser pour proposer davantage de candidatures.
Ainsi,
dans certaines prisons trouve-t-on des imams autoproclamés qui
organisent la prière en défendant des causes extrémistes.
La solution n'est pas, comme certains le
proposent, dans le regroupement des personnes radicalisées qui
finiront par s'ériger en principauté autonome. Il faudrait réaliser
un véritable travail pédagogique, pratiquer l'isolement avec
beaucoup de précaution et surtout satisfaire le besoin de religion
non radicale. Cela ne « peut que diminuer la violence ».
Les prisons ouvertes ou
semi-ouvertes
La
seule prison ouverte en France est celle de Casabianda en Corse.
Dépourvue de barreaux, de murs d'enceinte et de mirador, cette
prison est spécialisée dans l'accueil des délinquants sexuels.
Elle
accueille 176 détenus triés sur le volet qui sont à 80% des
délinquants sexuels. Tous ont été condamnés à de longues peines
et sont volontaires pour venir.
Dans
ce domaine de 1800 ha, les détenus travaillent dur : à la
porcherie, à la bergerie, à l'écurie ou à l'étable. Les plus
robustes sont embauchés à la coupe de bois ou à la lutte contre
les incendies. Il y a également des postes à l'atelier de
biscuiterie et au moulin.
Au
moindre écart, les détenus sont renvoyés dans une prison du
continent. Pour Claire Foucet, directrice, « ce système
singulier est profitable aux détenus car ils se stabilisent par le
travail ».
Depuis
quelques années, la France planche sur ce système qui a fait ses
preuves en Europe du Nord et en Suisse. Pour Patrick Marest, délégué
général de l'Observatoire International des prisons (OIP), le
récent engouement pour ces prisons est un « cache-misère ».
Il y
voit le risque de mettre les « mauvais » prisonniers dans
les prisons les plus dures et les « bons » dans les
prisons ouvertes, au bon vouloir de l'administration pénitentiaire.
Cette logique de la carotte et du bâton comporterait alors des
risques d'arbitraire, dénoncés par le Conseil de l'Europe. Ce
dernier préconise deux pistes à explorer : la limitation de la
durée des peines et que les atteintes aux biens, sans violence, ne
soient plus passibles d'emprisonnement.
Pour
Jean-Marie Delarue, il faudrait créer un modèle diversifié comme
en Espagne où prévalent les peines de semi-liberté. Il trouve de
l'espoir dans la nouvelle génération de directeurs de prison et
dans l'évolution de la mentalité des surveillants. Il faut donc
continuer l'effort d'ouverture des prisons vers l'extérieur car
« chaque acteur positif est moteur de changement ».
Il
faut également rediriger les crédits pour rénover les anciennes
prisons au lieu de privilégier la voie du modèle unique de
structure à 690 places. Les détenus ne doivent plus avoir « le
choix entre la crasse et l'isolement ».
Doriane Spiteri
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