vendredi 18 décembre 2015

Quelle prison pour une société démocratique et humaniste?

Quelle prison pour une société démocratique et humaniste ?

Compte-rendu de la conférence de Jean-Marie Delarue au Champs Libres (Rennes), mercredi 25 novembre 2015. Conférence organisée dans le cadre des 22e journées Nationales Prison, intitulées « moins punir par la prison pour mieux reconstruire ».

Contrôleur général des lieux de privation de liberté de 2008 à 2014, Jean-Marie Delarue a été le premier à occuper ce poste créé en 2007. La fonction du CGLPL est de « s'assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés et de contrôler les conditions de leur prise en charge ». Sans aucun pouvoir d'injonction, celui-ci ne peut que former des recommandations mais son champ d'action est très large, couvrant les quelques 5500 lieux privatifs de liberté en France : établissements pénitentiaires, locaux de garde à vue, dépôts de tribunaux, centres éducatifs fermés, zones d'attente, centres de rétention administrative, secteurs psychiatriques des centres hospitaliers et locaux d'arrêt des armées.

Dehors, on ne connaît pas les prisons

Selon Jean-Marie Delarue, le problème principal des prisons est l'ignorance du citoyen « libre » les concernant.
Pourtant, personne n'est à l'abri d'y séjourner.
En effet, seuls 2,5% des détenus sont des individus dangereux, alors que 75% d'entre eux ont des peines de moins d'un an. La durée moyenne d'un séjour est d'environ 11 mois.

Depuis 25 ans, le nombre de détenus excède celui des places en prison. Si dans les établissements pour longues peines, le taux d'occupation ne dépasse jamais les 100%, il est toutefois de 212% et 223% dans deux maisons d'arrêt visitées par les contrôleurs.
Pour palier cette surpopulation, nous pourrions envisager la mise en œuvre d'autres peines pour certaines infractions. Car, comme le dit M. Delarue : « un délinquant routier n'apprendra pas en prison à mieux se comporter sur la route ».

Réintroduction du terme « dangerosité »

Depuis 2005, la notion de « dangerosité » a été réintroduite dans dans notre loi pénale, faisant du crime quelque chose d'intrinsèque à la personnalité. Ce terme, devenu un outil pour prévoir les risques de récidive d'un condamné, est pour Jean-Marie Delarue « un concept juridique lui-même dangereux. »
Les individus considérés « dangereux » sont mis à l'écart sans espoir d'évolution. Cette idée est à l'opposé des conceptions pénales qui ont prévalu depuis cent ans.

Industrialisation de la captivité

Les nouvelles prisons, construites depuis 1987, nous ont fait régresser. En multipliant les conditions de sécurité, ces « machines collectives » agrandissent la distance avec les détenus.
Les nouvelles prisons ont un pouvoir d'accueil de 690 détenus, contre 150 auparavant, faisant de ces derniers de complets anonymes. Une perte de la dimension humaine renforcée par la fonction des surveillants qui ne restent pas plus de 8 jours sur un même poste.
Pour Jean-Marie Delarue, ces prisons tendent à une industrialisation de la captivité, à une massification des prisonniers.

Usage social

La prison a trois fonctions :

1.Punir
2.Assurer la réinsertion des condamnés
3.Prévenir la récidive

Dans les faits, l'usage principal est la punition.
Loin de rétablir et de reconstruire les personnes, la prison les détruit un peu plus.
Cet exil sur place, est une rupture avec soi-même, sa famille, son travail, son identité.
La surpopulation – les détenus peuvent être trois dans 9m2 – engendre également une perte de l'intimité encore plus forte qu'auparavant (la première maladie en prison est la rétention de sels).
Livrés en permanence au regard des autres, les détenus sont dépossédés d'eux-mêmes. Ils n'ont aucune autonomie et sont infantilisés.
Peut-on se reconstruire dans ces conditions ?

Les besoins de sécurité

Les besoins de sécurité l'emportent en prison comme ailleurs.
Malgré la loi de 2009 sur les droits fondamentaux de la personne détenue, c'est la relation personnelle avec le surveillant qui prend le pas sur la loi. L'effectivité de la loi est donc souvent abstraite.
Certaines améliorations peuvent toutefois être observées : des points d'accès aux droits ont été mis en place et les avocats peuvent venir en prison pour les commissions disciplinaires.
Il faut continuer ces efforts d'ouverture de la prison à l'extérieur, c'est la meilleure garantie d'une effectivité du droit. Il faudrait également donner plus d'ambition aux surveillants afin de faire évoluer la conception étriquée de la sécurité et de les libérer de leur seule fonction de « porte-clés ».
Car, pour Jean-Marie Delarue, « Les mesures de sécurité excessives engendrent des violences (dans la société libre aussi). »

La réinsertion

La pénurie de conseillers d'insertion et de probation demeure flagrante.
Il faut accorder plus d'importance à l'aide et à l'accompagnement à la réinsertion et favoriser les liens familiaux des détenus. En effet, seules 40 unités de vies familiales ont été mises en place sur près de 200 établissements pénitentiaires en France.
Jean-Marie Delarue propose également d'introduire un internet contrôlé pour que les détenus puissent envoyer des mails à leurs proches, rechercher un logement et un emploi avant leur sortie.

Radicalisation religieuse

Les derniers événements amènent la question de la radicalisation religieuse en prison.
En effet, la religion est un refuge pour certains prisonniers. Pour répondre à ce besoin, l'état déroge à la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en allouant des subventions pour des aumôniers.
Cependant, la difficulté d'accès des détenus aux cultes est un véritable problème qui touche toutes les religions.
Première religion pratiquée en prison, l'Islam est particulièrement mal desservie. Elle manque cruellement d'aumôniers, d'une part parce que l'administration n'y consacre pas un budget suffisant et d'autre part parce que le conseil français du culte musulman ne sait pas s'organiser pour proposer davantage de candidatures.
Ainsi, dans certaines prisons trouve-t-on des imams autoproclamés qui organisent la prière en défendant des causes extrémistes.
La solution n'est pas, comme certains le proposent, dans le regroupement des personnes radicalisées qui finiront par s'ériger en principauté autonome. Il faudrait réaliser un véritable travail pédagogique, pratiquer l'isolement avec beaucoup de précaution et surtout satisfaire le besoin de religion non radicale. Cela ne « peut que diminuer la violence ».

Les prisons ouvertes ou semi-ouvertes

La seule prison ouverte en France est celle de Casabianda en Corse. Dépourvue de barreaux, de murs d'enceinte et de mirador, cette prison est spécialisée dans l'accueil des délinquants sexuels.
Elle accueille 176 détenus triés sur le volet qui sont à 80% des délinquants sexuels. Tous ont été condamnés à de longues peines et sont volontaires pour venir.
Avant leur transfert, une étude psychologique et pénale de leur situation est menée.
Dans ce domaine de 1800 ha, les détenus travaillent dur : à la porcherie, à la bergerie, à l'écurie ou à l'étable. Les plus robustes sont embauchés à la coupe de bois ou à la lutte contre les incendies. Il y a également des postes à l'atelier de biscuiterie et au moulin.
Au moindre écart, les détenus sont renvoyés dans une prison du continent. Pour Claire Foucet, directrice, « ce système singulier est profitable aux détenus car ils se stabilisent par le travail ».

Depuis quelques années, la France planche sur ce système qui a fait ses preuves en Europe du Nord et en Suisse. Pour Patrick Marest, délégué général de l'Observatoire International des prisons (OIP), le récent engouement pour ces prisons est un « cache-misère ».
Il y voit le risque de mettre les « mauvais » prisonniers dans les prisons les plus dures et les « bons » dans les prisons ouvertes, au bon vouloir de l'administration pénitentiaire. Cette logique de la carotte et du bâton comporterait alors des risques d'arbitraire, dénoncés par le Conseil de l'Europe. Ce dernier préconise deux pistes à explorer : la limitation de la durée des peines et que les atteintes aux biens, sans violence, ne soient plus passibles d'emprisonnement.

Pour Jean-Marie Delarue, il faudrait créer un modèle diversifié comme en Espagne où prévalent les peines de semi-liberté. Il trouve de l'espoir dans la nouvelle génération de directeurs de prison et dans l'évolution de la mentalité des surveillants. Il faut donc continuer l'effort d'ouverture des prisons vers l'extérieur car « chaque acteur positif est moteur de changement ».
Il faut également rediriger les crédits pour rénover les anciennes prisons au lieu de privilégier la voie du modèle unique de structure à 690 places. Les détenus ne doivent plus avoir « le choix entre la crasse et l'isolement ».


Doriane Spiteri


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