lundi 7 mars 2016

8 Mars : Discrimination subie par les femmes en privation de liberté

La Contrôleur général des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, dénonce la discrimination subie par les femmes / Journal officiel du 18 février 2016


Dans le monde invisible de la prison, les femmes sont une minorité pénalisée par sa faiblesse numérique : 

En janvier 2016, on comptait 2147 femmes sur 66 678 détenus en France, soit 3,2% de la population incarcérée. Deux prisons sont entièrement réservées aux détenues femmes : le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d'arrêt de Versailles. La majeure partie des femmes sont donc incarcérées dans des "quartiers femmes" de prisons pour hommes. 
La rupture avec la famille et l'isolement sont davantage constatés chez les femmes incarcérées que chez les hommes, qui parviennent souvent à recevoir un soutien moral et matériel plus important de leurs proches. Un rapport du Sénat évoque des détenues femmes "très désocialisées lors de leur incarcération", qui ont dû faire face à des "situations de violence conjugales ou familiales" et issues de "milieux défavorisés". Une détenue du centre de détention de Rennes commente la situation de ses codétenues dans un courrier à l'OIP (Observatoire International des Prisons) : 

"La moitié des enfermées n'ont pas de parloirs ou alors avec un visiteur. Un quart ne savent pas écrire et ne reçoivent pas de lettres."

Autre exemple, au centre de détention de Joux-la-Ville, plus de la moitié des détenues n'ont jamais de visites au parloir. Les familles doivent faire de longs trajets pour des parloirs souvent courts et limités à une demi-journée par week-end. Cela représente un coût financier important auquel s'ajoute le stress de manquer l'heure du parloir, ce qui peut décourager certaines familles, à rendre visite aux détenues. A ces difficultés s'ajoute, dans certains établissements, une discrimination entre les quartiers hommes et femmes concernant le nombre de créneaux horaires proposés pour les parloirs. A l'isolement à l'intérieur des établissements s'additionne donc une resocialisation dans un milieu criminogène. Les femmes ont moins accès au régime de la semi-liberté que les hommes : 64 places leur sont réservées (pour un total de 1048 places). 
L'interdiction légale de côtoyer les hommes, même brièvement lors d'un déplacement, a pour conséquence de restreindre l'accès des femmes aux unités sanitaires, aux zones socioculturelles (études), aux terrains de sport, aux bibliothèques. "Les locaux réservés aux femmes sont souvent plus réduits que ceux des hommes, les intervenants moins nombreux et les équipements plus sommaires", précise Adeline Hazan.

Reproduction de certains stéréotypes : 

"Les hommes ont des activités professionnelles de production, pratiquent le sport en extérieur, tandis que les femmes ne peuvent souvent travailler qu'au service général : cuisine, buanderie, entretien des locaux." Quand aux mesures de sécurité, Adeline Hazan les juge parfois "attentatoires à leur dignité". "Les examens gynécologiques doivent avoir lieu sans menottes et hors présence du personnel pénitentiaire", rappelle la contrôleur. 

Accueil des mineurs : 

Si elles doivent, selon la loi, être hébergées dans des unités spécifiques, elles se retrouvent la plupart du temps, faute de place "dans le quartier des femmes majeures, sans aménagement au regard de leur âge. "Les détenues mineures doivent avoir le même accès à l'éducation et à la formation professionnelle que leurs homologues masculins."


Centre de rétention administrative (CRA) :

Seuls quelques CRA accueillent des femmes retenues. Leur droit au maintien des liens familiaux peut donc être mis à mal si leur domicile est éloigné du CRA dans lequel elles sont placées. Aux fins de respect du maintien des liens familiaux, les centres de rétention administrative doivent tous pouvoir accueillir des hommes et des femmes. 
La mixité doit ainsi être instaurée durant la journée, s'agissant de l'accès aux services communs et aux activités. Seul l'hébergement des femmes seules doit être distinct de celui des hommes. Le CGLPL recommande toutefois qu'une attention particulière soit portée à la situation des femmes durant la période de rétention, afin notamment de lever le sentiment d'insécurité perçu par certaines d'entre elles. 

Etablissements psychiatriques : 

En 2014, sur 81 209 patients admis en établissements de santé mentale sous le régime de soins psychiatriques sans consentement, 38,21% étaient des femmes. Les femmes hospitalisées sous contrainte demeurent donc proportionnellement plus nombreuses que dans d'autres lieux de privation de liberté. 
Il faut ici rappeler que si le principe de stricte séparation des sexes prévaut en détention, c'est quasiment le principe inverse qui règne dans les centres hospitaliers. En effet, la présence des femmes est abordée différemment dans les établissements psychiatriques, l'impératif de sécurité s’effaçant derrière le projet de soin, lui-même tourné vers un objectif de sortie. Hommes et femmes hospitalisés sous le régime de soins psychiatriques sans consentement se côtoient quotidiennement dans le cadre de leurs activités, quelles qu'elles soient (culturelles, thérapeutiques, etc.). Le personnel soignant s'occupe indifféremment des patients, hommes et femmes. Certes, la vulnérabilité des patients entraîne la nécessité d'assurer leur sécurité. Ainsi, les chambres restent strictement non mixtes, les règlements intérieurs des établissements réservant, d'une façon générale, l'accès des chambres à leurs seuls occupants. La CGLP relève la bonne pratique de la mixité - hormis à l'intérieur des chambres - au sein des établissements psychiatriques. Elle estime néanmoins que les patients qui le souhaitent ou qui pourraient craindre, à tort ou à raison, pour leur sécurité personnelle devraient avoir la possibilité de s'enfermer la nuit dans leurs chambres, les personnels soignants ayant naturellement à leur seule disposition les moyens d'ouvrir les portes. 

Garde à vue : 

Le CGLP recommande que les femmes conservent leur soutien-gorge en garde à vue, sauf circonstance particulière mentionnée au procès-verbal. "En matière de fouilles, le principe selon lequel elles ne peuvent être réalisées que par des agents du même sexe n'est pas toujours praticable à l'égard des femmes ( qui ne représentent certes que 5% du nombre de personnes en garde à vue, ce qui n'est en rien absolutoire), faute notamment de personnels féminins suffisants dans les effectifs de nuit. Cette situation incombant exclusivement à l'administration, il doit être décidé dans une telle hypothèse qu'aucune fouille quelle qu'en soit la forme (y compris la palpation de sécurité) ne peut être pratiquée". 
Pour tous les lieux de privation de liberté, elle rappelle que le respect de la dignité humaine empêche toute possibilité de procéder à la fouille des protections périodiques des femmes. Lors des visites de contrôle effectuées au sein des locaux de garde à vue des commissariats et des brigades de gendarmerie, il est souvent relevé le faible nombre (voire l'absence totale) de "kits hygiène" contenant des produits d'hygiène pour les femmes. Les personnes interrogées justifient quasi systématiquement cette situation par la faible nombre de femmes gardées à vue. Il a parfois été indiqué aux contrôleurs qu'en cas de difficultés des femmes gendarmes ou policiers pouvaient "dépanner" les femmes gardées à vue. Il peut par ailleurs être souligné que le "kit hygiène" théoriquement prévu pour les femmes contient deux protections périodiques, ce qui, si une femme en a besoin, est insuffisant pour une garde à vue d'une durée de 48 heures. 

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Adeline Hazan a été nommée le 17 juillet 2014 au poste de Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté. 
Le Contrôleur Général peut visiter à tout moment, sur l'ensemble du territoire français, tout lieu où des personnes sont privées de liberté. 

  • Des établissements pénitentiaires : maison d'arrêt, centre pénitentiaire, centre de détention, maison centrale, établissements pour mineurs, centre de semi-liberté, centre pour peine aménagée, centre national d'observation. 
  • Des établissements de santé, plus particulièrement : des établissements ou unités de santé recevant des personnes hospitalisées sans leur consentement (hospitalisation d'office ou à la demande d'un tiers), des chambres sécurisées au sein des hôpitaux, des unités pour malades difficiles (UMD), des unités médico-judiciaires (UMJ). 
  • Des établissements placés sous l'autorité conjointe du ministère de la santé et du ministère de la justice, tels que : les unités d'hospitalisation sécurisées interrégionales (UHSI), les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), l'établissement public de santé national de Fresnes, le centre socio-médico-judiciaire de sûreté. 
  • Des locaux de garde à vue des services de police et de gendarmerie
  • Des locaux de rétention douanière
  • Des centres et locaux de rétention administrative des étrangers
  • Des zones d'attente des ports et aéroports
  • Des dépôts ou geôles situés dans les tribunaux
  • Des centres éducatifs fermés
  • De tout véhicule permettant le transfèrement des personnes privées de liberté

La loi n°2014-528 du 26 mai 2014 modifiant la loi du 30 octobre 2007, instituant un Contrôleur Général des Lieux de Privation de Liberté a en outre étendu la mission de l'institution au contrôle de l'exécution matérielle des procédures d'éloignement de personnes étrangères jusqu'à leur remise aux autorités de l'Etat de destination. 

Sa mission : veiller au respect des droits fondamentaux. 






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